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Maurice MARÉCHAL

Documents

Extraits de lettres adressées pendant la guerre par Maurice Maréchal à Lucien Durosoir, de 1916 à 1917
( au cours de permissions, de séjour à l’hôpital ou de courtes séparations pour des motifs de service)

Dijon 5 août 1916 [M.M. est en permission]

Il y a encore quelques bonnes bouteilles !……[en réalité M.M. a fait une erreur de date, il s’agit du 5 septembre 1916 !]

20 Mars 1917 [ Lucien Durosoir est en permission et doit rentrer le 23, M.M. le renseigne ]

Mon vieux Roisorud ! [anagramme de Durosoir]
Situation très bleue, pas de nuages à l’horizon, des chambres tant qu’on en veut et pas cher. J’en ai pour ma part une très petite, mais propre et sympathique. A la rigueur nous pouvons y habiter tous les trois, [le pianiste Henri Magne rentrera aussi comme L.D. de permission] il y a deux lits et ce n’est pas cher. Aussi je la garderai bien pour moi tout seul, si cela vous va d’en choisir une plus grande pour Magne et vous, lorsque vous serez arrivé. Enfin vous ferez absolument comme vous l’entendrez. Pour les renseignements voici : je suis parti de Gondrecourt à 4 heures du matin par le train qui part de Paris à 8 heures du soir. C’est un excellent horaire ; je suis arrivé à Nancy par Void et Toul. J’ai changé à Nancy, puis à Blainville et venu ensuite directement à Lunéville [ le petit groupe de musiciens va séjourner quelques jours dans cette ville au cours d’un déplacement de la Division avant un départ le 28 pour les environs de Château-Thierry] où je suis arrivé à 8 heures et demie du matin. J’étais bien fatigué le soir, mais bien content d’avoir tout trouvé, j’ai dormi merveilleusement jusqu’à midi ce matin ! Je fais popote avec Cavannagh et trois autres cyclistes. Nous touchons oui, et une bonne femme nous fait la cuisine. Venez chez moi au sortir de la gare, 29 rue de Lorraine, chez madame Bourgeois. Nous verrons alors ce que vous décidez pour la chambre. Profitez bien de votre " perm " et surtout ne vous en faites pas une miette sur votre séjour ici, il sera excellent. Mes respects à madame Durosoir que j’espère avoir l’honneur de connaître un jour et à vous cordiale poignée de main. Maurice

Mercredi 10 octobre 1917 [L.D.est en permission]

Mon cher ami,
Je ne sais si vous êtes parti du C.I.D. sans savoir les nouvelles ou si vous avez vu Calande ou Cavannagh avant votre départ. Je les ai priés de vous dire ceci (je n’ai pu arriver à vous trouver vous même) :
Le général Lebrun a mandé Caplet à son bureau à Ham ! (Entre nous l’entrevue a été tragi-comique au début, car Caplet n’avait pas de casque, mais un képi, et le général s’est vu obligé de lui faire des remontrances !! Caplet lui a répondu qu’il avait bien cherché un casque dans le corridor avant d’entrer (ce qui était vrai), mais qu’il n’en avait pas trouvé (ce qui était encore vrai). Enfin ça c’est tassé, et Lebrun a demandé à Caplet s’il y aurait moyen de nous avoir pour une messe un peu solennelle le jour de la Toussaint. (Excusez mon écriture, je suis hélas de planton et on gèle dans ce corridor !) Naturellement " le petit bonhomme " [l’un des surnoms donnés par Maurice Maréchal à André Caplet] a sauté à pieds joints sur cette occasion et a promis tout ce que l’on demandait. Donc à la clef : répétitions, déplacements etc.…Cela tombe bien car en fait d’autres nouvelles j’ai appris que :

  1. Vous deviez partir Magne et vous avec le prochain renfort.
  2. Que vous étiez mutés au 74ème .
  3. Que vous passiez à la musique du dit 74ème .
  4. Voilà tout le nouveau pour l’instant. Si vous savez de votre côté quelques choses intéressantes vous connaissez ma villégiature d’hiver et mon adresse.
    Très cordialement à vous, bon souvenir à Magne.

22 novembre 1917

Mon cher Durosoir, [L.D. vient d’être détaché à l’Etat-major de la Division]
J’ai reçu vos deux lettres et les bonnes nouvelles qu’elles disaient nous ont réjoui. J’espère que la soirée devant le général Anglais a été " plein l’œil ". Merci aussi pour les deux photos (sur lesquelles nous ne comptions plus). Magne a eu quelques lettres, mais il est étonné toutefois de n’en pas recevoir une seule là-bas. [ Maréchal et Magne ont été désignés pour suivre un cours " radio "] Savez-vous que nous en mettons un coup ! C’est fou, entre nous, d’aller à une vitesse pareille avec des gens qui pour la plupart n’ont aucune notion d’électricité. Je parle surtout du cours technique !!! Si vous nous voyiez nous débattre dans les formules, problèmes etc.… pleins de différents noms et de différentes expressions. C’est un peu comique. Lorsque l’on inonde le tableau de formules et de chiffres je regarde Magne, Magne me regarde, et un hochement de tête simultané nous avertit l’un et l’autre que nous en avons plein les yeux, autant l’un que l’autre. Ce qui nous console vraiment c’est la lecture au son qui marche vraiment pas mal et on nous a fait passer Magne et moi, ainsi que 4 autres élèves dont 2 sergents (oui mon petit bonhomme) dans un cours spécial pour activer l’entraînement. Nous avons passé dimanche un bon après-midi à Noyon. Avons été à l’ambulance 8/13 en auditeur au concert de l’après-midi, puis avons fait une heure et demie de musique chez le lieutenant Bourquin. Avons déchiffré le quatuor de Schumann avec Broisand et le lieutenant B. Ce fut vraiment une excellente journée reposante après les journées de cours. Mais tout cela ne nous suffit pas (je parle des joies de la T.P.S. et de la T.S.F. !) il nous manque encore une chose…l’autre moitié du quatuor ! Quand arrivera t-elle ? Voulez vous communiquer à notre " bon petit sergent " [autre surnom de Caplet] ces nouvelles et lui dire que nous sommes pas mal abrutis par les 8 heures de cours par jour pour ne pas nous étendre en correspondance, aussi j’écris pour deux et pour les deux, qu’il m’excuse. Nous pensons bien souvent à vous et nous pensons à la réunion quelque part ; donnez-nous des nouvelles. Mille bonnes amitiés des deux aux deux. Maurice.

Décembre 1917

Mon cher Durosoir,
Nous voudrions bien vous voir ou avoir de vos nouvelles et vous parler de vive voix. On doit nous envoyer dans une école de perfectionnement. Il n’y a que nous qui restons sur tous les élèves, la proposition de 7 ou 8 mutations étant refusée par le G.Q.G. Le classement est bon. Nous sommes très contents tous deux, et n’espérions pas si bien, avec tout le groupe A au-dessus de nous.
Le classement général a donné :
Ecrit Oral Lecture au son Total sur 60

Ecrit
Oral
Lecture au son
Total sur 60
Maréchal
17,5
16
12
45,5
Magne
13
15
15
43
Magne est le 13ème et moi le 11ème sur 60 élèves. Nous devons partir au 37ème Corps comme radio, on ne sait pas encore. Je voudrais bien vous voir. Ecrivez toujours à l’école TSF. Amitiés en hâte.

8 décembre 1917

Mon cher Durosoir,
J’ai reçu votre lettre à midi au moment où nous partions Magne et moi dans nos postes. Nous sommes actuellement (et ce pour une quinzaine je pense) à un vingtaine de kilomètres l’un de l’autre, voici nos adresses :
Maurice Maréchal
Radiotélégraphiste
(T.S.F.) 13ème section autos canons
par B.C.M.
Henri Magne
Radiotélégraphiste
(T.S.F.) 31ème section autos canons
par B.C.M.
Je ne pense pas qu’il faille agir en ce moment pour nous faire revenir. [à la Division, car L.D. et A.C. sont à nouveau détachés à l’Etat-major de la Division].Ce serait très dangereux, car nous ne tenons pas du tout à rentrer au 3ème Corps tant que nous ne serons pas du Génie. Comme cela ne peut tarder, je crois, alors il sera temps de songer et de se préparer activement à la réunion. Je pense avoir des nouvelles de vous de temps en temps. Heureusement que sur nous deux, j’écris et que sur vous deux, vous écrivez ! Je ne sais si Caplet a reçu mes deux lettres ! Au fait, elles traînent peut-être encore dans quelque " profonde " ! Sait-on jamais avec lui !
Vous nous avez beaucoup amusé avec toutes vos histoires de la DI. C’est en effet crevant ! Magne en revanche rouspète, il dit que sur les cinquante " papelards " achetés par lui à Noyon, il n’y a que lui et moi qui n’en ayons pas encore profité ! Et…. Je suis un peu de son avis et trouve le temps long ! [Magne s’était débrouillé pour acheter dans une librairie de Noyon un carnet de cinquante titres de permission ce qui permettait au petit groupe de se confectionner de fausses permissions !!] Espérons que tout cela n’est que partie remise et que les beaux jours reviendront. Je pense bientôt recevoir des nouvelles de vous. Bonnes amitiés.

13 décembre 1917

Mon cher ami,
Deux mots seulement. Pourriez-vous me rendre le grand service de demander à Cauvigny (ou à son remplaçant) un certificat de la date de mon départ en permission (27 août 1917) si je ne me trompe. Cela me sera indispensable pour me faire donner ma perm par le détachement radio. Ici rien de nouveau. Pas de nouvelles de Magne. Pas de nouvelles de vous, ni de Caplet, le temps paraît long ! Un bon conseil, si vous le pouvez, lisez le N°9 de la Gazette des classes du conservatoire (mai 1917) qui m’est arrivé ce soir. Il y a des lettres tordantes de camarades que nous connaissons et en particulier d’un ancien pianiste de notre groupe, dont vous vous rappelez certainement, malgré son silence [ Gustave Cloëz, futur chef d’orchestre]. Rien d’intéressant à vous dire, le service marche son petit train. Les visites sont rares ici, comme les lettres, mais enfin on se fait à la monotonie des jours. Préparez-vous quelque chose pour Noël ? Il me semble qu’il y a des siècles que je ne sais plus rien de vous. Amitiés à vous et à vous tous, affectueusement.


Extraits de lettres adressées en 1918 par Maurice Maréchal à Lucien Durosoir _ ( au cours de permissions, de séjour à l’hôpital ou de courtes séparations pour des motifs de service)

Janvier 1918

Mon bon Durosoir, [M.M. est en permission]
Déjà 8 jours écoulés. C’est un éclair ! Je pense repartir mardi soir à11H08. Voulez vous me dire où je dois me rendre ? Merci de votre lettre. Je savais déjà : 1° par Caplet, 2° par Magne lui-même son accident. Merci des bonnes nouvelles et de vos souhaits. Mes parents vous remercient et je vous envoie pour madame Durosoir et vous les miens très sincères de retour au foyer pour 1918 !
L’arrière me fait mal au cœur ! Concerts, vie à peu près normale pour tant de gens ! Ce n’est pas juste décidément ! J’ai rencontré hier notre frère Cloëz. Rutilant d’or !et débordant d’amitié ! Margo Soyer chantait deux de ses mélodies au Parthénon…gros succès ! Que devenons-nous ! Y a t-il du nouveau ? Que dois-je rejoindre ? Le 74ème je pense ! J’espère un mot de vous me disant tout cela. Amitiés à tous et bien affectueusement.

18 mars 1918

Mon cher ami,
Merci de la complaisance que vous apportez à me renvoyer mes lettres : j’en ai reçu une il y a deux ou trois jours et une cette après-midi (lettre de Hollande). Vous seriez encore plus gentil, de me joindre un mot de temps en temps, si vous le pouvez, racontez-moi des nouvelles ! Je m’ennuie fort dans mon trou ! Que deviennent les espoirs de musique à l’Armée ? Sait-on quelque chose de plus qu’il y a une semaine ? Si vous avez quelque bouquin intéressant, vous pouvez le remettre à Néel qui le fera parvenir. Mettez comme adresse : Maurice Maréchal, Radio Dardanelles. Dites moi si je dois vous renvoyer les deux que j’ai là ( Le crime de Sylvestre Bonnard et Les Grands Bourgeois). Avez-vous des nouvelles de votre Magne ! Je crois qu’il " laisse tomber ", tout au moins le violoncelliste du pauvre quatuor aujourd’hui bien dispersé ! A vous amicalement.

Mardi 23 juillet 1918 Hôpital général militaire Dijon
[M.M. est parti en permission le 7 juillet, fatigué, amaigri ; il se fera hospitaliser pendant sa permission et ne reverra pas le front]

Mon vieux Durosoir,
Merci infiniment de me renvoyer toutes mes lettres avec tant de gentillesse. J’ai reçu la votre dernière du 17 en même temps que celle du 14 d’ André Caplet. Vous m’excuserez de ne vous répondre que sur une simple carte, mais j’écris par le même courrier une plus longue lettre à A. C. qui vous donnera tous détails, inutile de vous dire la même chose en double exemplaire. Vous comprenez ? Très drôle l’histoire de Delmas, ah que c’est donc bien de lui pareille aventure ! [ Delmas- Boussagol, futur professeur de contrebasse au Conservatoire supérieur de musique de Paris avait écopé de 15 jours de prison pour s’être promené dans Paris en tenue " négligée " au cours d’une permission et pour avoir envoyé à tous les diables l’auteur de la remontrance !!!] Mais en effet, j’espère que vous pourrez arranger la chose. Pauvre vieux, 15 jours de " grosse ", [terme utilisé par les poilus pour désigner la prison] vont le faire maigrir cette fois. Mayer a un mois de convalescence renouvelable. Mille bonnes amitiés..

Août 1918

J’ai oublié de vous donner mon adresse à Dijon et de vous prier d’avoir la gentillesse de m’y renvoyer les lettres pendant les premiers jours. Voulez-vous dire à Caplet que je lui écrirai dès demain soir, de Paris. J’ai retrouvé Chénuts ici. Il fait une chaleur ! Veinards qui avez au moins un joli parc ombré pour la sieste !!! Je remue en tête bien des projets. Je pense à la prudence du serpent et à la ruse de l’écureuil, qui saute de branche en branche. Je pense à certains individus " méchants comme un âne rouge " et j’ai peur d’en rencontrer au tournant. A bientôt des nouvelles.

17 août 1918

Mon cher ami,
Oû êtes-vous ! Je ne sais trop n’ayant plus eu de nouvelles de personne, assez brusquement depuis environ une dizaine de jours ! Je sais que vous deviez partir en perm ! mais je n’ai pas su si vous étiez parti !
Vite envoyez moi quelques mots. J’espère que vous avez passé 10 jours excellents auprès de votre chère maman et au bord de la mer admirable. Ah mon cher ami être chez soi ! Ce que ces trois mots représentent de choses après 4 ans de guerre !! Et comme je souhaite avec frénésie que tous ceux du front (et du début) aient la même joie que j’ai présentement. Je peux enfin travailler. Je m’en donne à cœur joie ! Et l’archet revient et les doigts aussi ! J’ai une petite élève de 15 ans, charmante, très douée, très intéressante. Je joue dans des concerts, des vrais, dans un vrai théâtre, et non plus sur le plancher d’une solidité douteuse d’une quelconque baraque Adrian. Je joue samedi dans un grand concert militaire en vue de la fraternisation Franco-américaine à Dijon ! (Il paraît qu’elle s’était surtout établie entre Dijonnaises et Américains) mais pas encore entre Poilus.
A ce propos, je voudrais vous demander un petit renseignement. Dans l’Humoreska de Dvorak : 1° faites-vous toutes les reprises chaque fois ? 2° faites-vous les doubles cordes 1ère et 2ème fois ou seulement à la fin ? Vous savez de quel passage je veux parler. Si vous pouvez m’envoyer le tuyau avant samedi. Merci à l’avance. A part cela quoi de nouveau ? Et notre fourragère ? Oh devinez qui j’ai rencontré cette après-midi dans Dijon !!! l’ancien médecin chef du 74ème le Dr Gauthier dit " 120 court ", il fut on ne peut plus aimable vraiment et me dit qu’il voulait me prendre dans son hôpital : il est médecin chef à l’hôpital 76. J’y réfléchirai ! Je vous quitte en vous envoyant mes bien affectueux souvenirs.

6 septembre 1918

Me voici rentré à l’hôpital. J’ai perdu encore un kilo ce mois-ci, malgré la suralimentation. Je ne sais donc pas mon sort, rien n’est décidé encore. Je suis inquiet de vous deux, êtes-vous au combat. ? [ Il s’agit de Caplet et Durosoir toujours sur le front et dans l’offensive] Envoyez un petit mot. Merci de votre très bonne lettre et de tout ce que vous dites d’intéressant. N’irez-vous pas bientôt chercher les binious à Troyes ?[ le 17 juin M.M. était allé déposer dans un garde-meuble de Troyes son violoncelle et le violon et l’alto de L.D et A.C. en raison des " déplacements à venir ".] Mille bonnes amitiés.

19 septembre 1918 Hôpital Général Militaire de Dijon

Mon cher ami,
Votre lettre m’a fait réellement beaucoup de peine, parce que je pense, connaissant votre courage habituel, que la mesure de fatigues et de souffrances de toutes sortes, fut poussée bien loin, pour vous atteindre à ce point. Je vous comprends mon pauvre ami et je vous plains. C’est si triste de se sentir seul dans la misère ! Je désire bien fort pour vous que l’occasion se présente le plus tôt possible " d’en jouer un air !" Le lieutenant Bourquin. m’écrivait l’autre jour : " vous savez je n’attends qu’une occasion, si la porte s’entrouvrait par hasard, vous verriez avec quelle vigueur je la pousserais aussitôt ". Je souhaite bien vivement que vous deux qui restez, trouviez le chemin, l’issue…vers la plaine comme dit André Caplet. Ah que ne sommes-nous pas tous ici à Dijon. La ville est remplie d’Américains et il y a à faire si on est musicien et débrouillard. Il me manquait jusqu’à présent un bon pianiste, mais j’ai fait la connaissance dimanche dernier de Estyle, professeur au conservatoire (Harmonie) et si je restais ici, je crois qu’il ferait très volontiers de la musique. C’est un type que j’aimerais étudier ! un original, un peu amer et neurasthénique il me semble, (quoiqu’il soit vaguemestre dans une D.C.A. à Dijon !). Je n’ai plus de nouvelles de Mayer depuis longtemps. Est-il rentré ? J’ai peur que pas mal de lettres se soient perdues ces temps. J’en ai déjà la certitude pour quelques unes. Vous ai-je dit mon emballement profond pour la sonate d’A. Magnard pour violoncelle ! C’est admirable ! Ah je vous souhaite du fond du cœur le retour près de vos chers violons ! C’est si bon. Si beau. Tenez-moi au courant. Si vous allez à Troyes,[ Lorsque la 5ème Division avait quitté la Champagne pour le Nord les musiciens avaient laissé tout leur matériel en dépôt à Troyes] dites-le moi aussi, j’aurais bien besoin d’un peu de musique, ici je n’ai rien. Voulez-vous présenter mon respectueux souvenir à madame Durosoir, qui j’espère est en bonne santé, ainsi que vous. Au revoir, mon cher Durosoir et que le repos qui vient soit long et fertile en événements heureux. A vous bien amicalement.

4 octobre 1918

Mon cher Durosoir
Où en êtes-vous ! Vous m’annonciez une lettre dans votre courte carte écrite à Troyes. Depuis plus rien ! Faites-vous donc tant de musique que vos tournées de concerts ne vous laissent plus une minute pour répondre à l’ex-celliste de la troupe ! ( ex-celliste qui reviendra peut-être celliste du théâtre de la 5ème Division car jusqu’à maintenant je m’aperçois que le service de santé militaire au lieu de trancher les questions attend, hésite, tournoie). Je suis maintenant dans un autre hôpital, toujours en " observation " et j’ai tant de hâte d’être l’objet d’une proposition pour l’auxiliaire. Je crois que si j’étais proposé cela irait tout seul ensuite. J’ai des rapports épatants de mon premier médecin traitant… " D’abord sorti de l’auxiliaire sur ma demande, deuxièmement a continué son service sans soins de médecin jusqu’en juillet 18, malgré un amoindrissement de ses forces physiques et un amaigrissement continu "
J’ai joué ici dans plusieurs concerts militaires-civils pour les Américains, Italiens etc..J’ai rencontré beaucoup de sympathies précieuses, entre autres celle du général Duplessis, commandant d’armes à Dijon (et président du conseil de réforme) qui m’a arrêté l’autre jour dans la rue m’ayant reconnu, pour me dire un tas de choses aimables. Voilà la situation mon cher ami ! Dois-je espérer ? Je ne sais trop ! Mon médecin est le médecin du secteur, je suis entré ici spécialement pour être dans son service. C’est un docteur qui arrive de Paris et que personne ne connaît à Dijon. Il s’appelle monsieur Harvier. C’est de lui que tout dépendra, car c’est lui seul qui est qualifié pour faire une proposition d’auxiliaire. Mais assez parlé de moi ! J’ai reçu une lettre du lieutenant Bourquin hier. Il me dit qu’il espère toujours nous avoir un jour ou l’autre, que votre classe vient de passer dans la R.A.T. qu’il fait des vœux et ouvre l’oeil ! (Je souhaite que ce soit la bonne !) Que devient notre bon sergent ? Je commence à trouver sérieusement le temps long ! Plus de nouvelles de lui depuis peut-être un mois !! Une chose importante encore à vous demander. C’est au sujet de ma musique qui me manque terriblement. Je puis emprunter certaines choses, mais bien peu. A Dijon les violoncellistes en sont restés à la Sérénade de Pierné et à la Tarentelle de Popper. Où pourrais-je et pourrais-je faire prendre ce qui était dans le paquet et dans la caisse ? Madame Durosoir est elle revenue de Bretagne ? J’espère qu’elle se porte bien et vous prie de lui présenter mon bon et respectueux souvenir. Ecrivez-moi, donnez-moi quelques nouvelles de la Division. Comme je souhaite que vous puissiez comme moi avoir la joie si consolante de rejouer dans une grande salle et de reprendre confiance en l’avenir. Vous verrez comme vous n’avez pas perdu les grandes qualités qui font les virtuoses. Cela revient tout seul, de soi-même quand on revient dans l’atmosphère. Dites aussi à André Caplet qu’il fasse tout son possible pour ne pas me laisser tomber et qu’il m’inquiète par son silence. Donnez le bonjour aux vieux copains : Niverd, Mayer, à ceux qui faisaient partie du groupe ou nous témoignent de la sympathie (au capitaine Zirrer s’il est toujours là) mais surtout à Boubou et au général cela va sans dire !
Je vous quitte mon cher ami, on va becqueter ! Votre popote marche t-elle toujours ? C’est un des bons derniers souvenirs que je garde de la Division !!!!
Mille affectueuses poignées de main.
P.S. Si vous le pouvez, mais surtout, si cela ne vous cause pas de dérangements ennuyeux, envoyez-moi le plus de paquets de cigarettes (bleues ou jaunes) que vous pourrez trouver à la coopé. Merci à l’avance on la " pète " de tabac ici !! Je vous rembourserai tout cela.
Ne sachant combien de temps je dois rester ici, je crois préférable que vous m’écriviez aux Marcs-d’or. Mont de Larrey. Dijon

23 octobre 1918 Hôpital Carnot

Mon cher ami. Je viens d’écrire à Mayer. Son sort m’effraie ! Le savoir en compagnie m’est extrêmement douloureux. Ne pourrez vous rien faire pour lui ? J’ai appris avec une joie égoïste hier le départ de Caplet. Puis j’ai songé à vous et senti tout le vide d’un pareil départ. Je sens des envies de rager lorsque je pense que vous qui avez fait quatre ans de front êtes encore et toujours là, alors que les rues de Dijon sont pleines d’embusqués qui n’ont jamais bougé. J’ai tort de vous le dire, mais vous savez ces choses comme moi ! Quand donc enfin m’annoncerez-vous la bonne nouvelle de votre dernier adieu à la Division ? J’ai vu Loyonnet [pianiste célèbre qui fut accompagnateur de Lucien Durosoir. Cf. Paul Loyonnet (1889-1988) Un pianiste et son temps, souvenirs réunis et présentés par Pierre Giraud, Librairie Honoré Champion] samedi soir et ai déjeuné dimanche avec lui chez un monsieur Chevignard de Dijon qui organise des concerts de guerre. Nous avons eu peu de temps pour faire connaissance mais je puis vous dire qu’il m’a semblé parfaitement détaché des misères que vous continuez vous autres à endurer et grâce auxquelles les autres font de la musique à l’intérieur. Vous me souhaitez de rester ici. Merci. Mais je voudrais y rester dans un autre lieu que l’hôpital. Je suis réellement fatigué, bien vrai. Et j’insiste car je vous ai quitté dans des conditions si bizarres !, alors je m’effraie un peu dans un état de fatigue générale comme le mien d’être mélangé avec des gens qui sont tuberculeux à n’en point douter, crachent toute la nuit, etc. Je vous dirai le nouveau (s’il se produit), en attendant faites-moi le plaisir de m’écrire bien vite, quelques nouvelles. A vous affectueusement.


Extraits de lettres adressées par Maurice Maréchal à Lucien Durosoir
Quelques correspondances d’après-guerre

13 juin 1926

Mon cher ami,
J’espère que cette carte vous arrivera encore demain. Je termine seulement mes leçons à 6 heures. C’est vraiment une existence assez empoisonnante que celle de professeur ! Et voici le motif de cette carte, j’aimerais que vous puissiez venir vers midi, (ou un peu avant) pour que nous ayons le temps de déjeuner sans nous presser (j’ai mon premier élève à 1h1/2. A demain, nous regrettons que madame Durosoir ne vous accompagne pas, j’espère bien que ce sera pour une autre fois. Très amicalement à vous.M.M. 54, Notre dame de Lorette. Paris

Gérardmer 5 août 1930

Cher ami,
Je ne suis pas longtemps au même endroit, mais je retrouverai encore un peu la Bourgogne avant d’être en Belgique (Ostende le 22 août) puis Londres ( le 9 setembre). L’important c’est que votre lettre me soit parvenue. Je commencerai à répéter avec Jamet dès ma rentrée en octobre. Ne vous en faites pas , cela ira. [Maurice Maréchal parle du Caprice pour violoncelle et harpe écrit par Lucien Durosoir et qui sera créé par M.M.]. Mille biens respectueuses amitiés à Madame Durosoir. A vous.

21 avril 1931

Cher ami,
Bien reçu les deux parties…[ M.M. parle des 3 pièces pour violoncelle et piano Divertissement, Maïade et Improvisation écrites pour Maréchal par Lucien Durosoir en souvenir de Génicourt - hiver 1916-1917]. J’ai déchiffré immédiatement la mienne au cello et j’ai pensé violoncellistiquement que vous ne manquez pas d’ironie d’appeler cela divertissement et musicalement que c’en est un, charmant…..pour l’auditeur !
Mais Bon Dieu, (Bonn Dious, on doit dire chez vous) que c’est difficile ! Même agrémenté de vous recommandations " très librement, avec charme !, et ricochet si possible ! ".
Enfin on vous travaillera cela cet été, et on va bien s’amuser et se " divertir " surtout si vous venez manger quelques escargots de Bourgogne à la Maréchale ! Ruminez cela et ne m’en voulez pas de vous parler en ami, je crois que j’y ai droit ! depuis Génicourt.
Ma femme et moi vous envoyons pour madame Durosoir et vous-même mes souvenirs les plus sympathiques.

210, Rivoli. Paris

Mon cher ami,
Le croiriez-vous ? j’ai emporté votre petit mot à Amsterdam et même Groningen au fin nord de la Hollande, puis de là à Lisbonne à travers toute l’Espagne et le Portugal sans pouvoir y répondre. J’ai bien pensé à vous à Hendaye et ai même bu en gare une bonne petite liqueur du dit pays à votre santé et à celle de votre chère maman. La vie que je mène est toujours bien fatigante ; si encore elle servait à assurer mes vieux jours dans une aisance relative. Mais au train où vont les choses qui sait où nous en serons en 1950 !
Je joue demain à Clermont Ferrand et après demain soir mon récital aux Champs Elysées. Croyez-vous qu’il n’y a pas de quoi en crever. Nous étions plus heureux à Génicourt. En hâte mille bonnes amitiés à tous deux.

Noyon juin 1934

Vous souvenez-vous de Noyon, du lieutenant Bourquin ? du " bon sergent qui nous envoyait faire de la copie " à Paname ? [" faire de la copie " signifiait : aller en fausse permission à Paris avec les faux que le petit groupe d’amis s’étaient procurés]…. Et du concerto grosso de Corelli -avec vous Mayer- et Vieuille, Rose Féart ! Que de souvenirs !…[ Il s’agit d’un grand concert spirituel donné le 30 décembre 1917 en la cathédrale de Noyon avec le concours d’artistes venus de Paris et où furent exécutés, entre autres œuvres, La Croix Douloureuse et Les Prières d’André Caplet] Meilleures amitiés en hâte à tous deux. (au 19) Maréchal, 210 Rivoli Paris

20 décembre 1934
210 Rivoli

Mon cher ami,
Comment vous dire toute ma peine ? C’est si impossible de même tenter de vous apporter quelques consolation ! J’ai souvent pensé à ce que serait pour vous la perte d’une merveilleuse maman comme l’était madame Durosoir ! Je puis comprendre quel déchirement est le vôtre et quelle perte irréparable vous venez de faire.
J’aimais, ma femme également, la chère madame Durosoir. Comment ne l’aurions nous pas aimée ? Elle avait l’esprit le plus fin, si vif toujours, si latin. Et puis ce qui faisait tant de charme à sa personnalité était cette tendresse, ce dévouement qu’on respirait dans chacune de ses paroles, dès qu’elle parlait de vous.
Sa figure me reste si claire dans la mémoire, sans ombre et voici peut être la seule consolation qui peut vous être donné- elle n’a pas eu le temps de connaître une déchéance, mentale ou physique. Ma pauvre maman a eu elle aussi en décembre 33 une congestion pulmonaire, et elle me semble si fatiguée, si vieillie, déprimée et découragée ! Elle m’inquiète beaucoup. Courage mon cher ami, nous avons, Dieu merci, nous autres artistes, notre art qui est là comme le grand refuge. C’est à lui que vous devez penser. Je vous embrasse bien affectueusement. Venez nous voir quand vous serez à Paris. Je serais au premier janvier à une nouvelle adresse 6 Rue Freycinet 16ème. Métro Alma Tel Passy 3355

18 Novembre 1936

Cher ami,
Bravo pour l’arrivée de Luc ! C’est charmant le diminutif et je préfère cela à Lucien Durosoir junior ! J’espère que je vous verrai arriver quelque jour tous les trois ! Rue Freycinet et que deux au moins apprécieront une vieille bouteille de Romanée ! Le troisième en goûtera plus tard…….. J’ai une trentaine de concerts en 45 jours, en ce moment ce n’est pas le calme, mais c’est la vie. Cordialement et félicitations aux heureux parents.

24 juin 1940

Cher ami,
Pourriez-vous me dire si à Peyrehorade, je pourrais trouver une remise, un hangar où m’abriter pendant une nuit ou deux en attendant de partir en Amérique via Espagne ou Portugal. Je pense bien que tout est plein chez vous, aussi je n’ai aucune idée de vous demander un asile à vous-même, mais je pense que par votre intermédiaire et grâce à votre influence, peut-être je pourrai trouver un gîte à l’étape. Je suis ici très bien installé au Collège de Villeneuve sur Lot, chez la femme d’un de mes amis qui est le directeur du Collège. Cependant puisque je devais aller en Amérique cet hiver, je crois plus sage d’avancer mon départ. Le tout est de connaître un moyen de gagner un port et un bateau. Si vous pouvez me répondre, vous me ferez plaisir. Autrement je tenterai ma chance en essayant, à tout hasard de passer chez vous. Je ne vous dis rien des événements, je pense que nous tous de 14-18 en sommes également malades. A vous. MM

2 juillet 1940
7 Rue Lamartine Luchon

Mon cher ami,
Votre lettre m’est arrivée le 30 juin à Villeneuve la veille de mon départ pour ici ; tous les quatre nous l’avons lue et relue, et j’ai pensé ainsi que ma femme que votre amitié était précieuse et réconfortante. Personnellement vous pouvez aisément imaginer combien je voudrais être près de vous, combien je préférerais votre compagnie à toute autre. Le destin a encore une fois arrangé les choses autrement. La surveillante générale du collège (amie de la directrice chez laquelle nous avons passé 25 jours) avait cette maison rue Lamartine à Luchon. Elle nous en a parlé un soir et j’ai sauté sur l’occasion avant d’avoir reçu votre réponse (ayant d’ailleurs eu le grand doute que vous auriez eu une place quelconque à Bélus). Maintenant je ne sais quand cette lettre vous arrivera, Bélus étant je crois dans la zone occupée. Ma femme et les enfants font des excursions dans la montagne, moi je m’occupe de la cuisine et des approvisionnements pour les 4 et cela ne m’ennuie nullement. Je préfère cela car en préparant des saucisses aux choux, le souci de ne pas laisser des limaces m’enlève pour quelques dizaines de minutes les autres préoccupations ! Je me réveille toujours aux premières lueurs du jour et ….je ne suis pas gai !
Oui mon cher ami votre compagnie m’aurait fait du bien, je suis sans aucune nouvelles de tous ceux qui me sont chers, à commencer par mon père qui à 77 ans n’a pas voulu quitter sa petite maison de Bourgogne.
Ecrivez-moi un petit mot. Votre lettre m’a touché profondément. A votre femme que je remercie tant de sa générosité d’accueil, à vous, je vous envoie de notre part à tous mes pensées les plus amicales et j’y ajoute, mon cher vieux camarade de Génicourt, l’assurance de ma fidèle affection. Maurice Maréchal
P.S.Cloëz était à Toulouse il y a quelques jours, je ne sais s’il n’a pas été depuis à Bordeaux.
Cher Monsieur. Nous sommes touchés plus que vous pourriez imaginer de votre charmant mot si accueillant. Mille sympathies pour vous et les vôtres. Loïs Perkins Maréchal.

7 septembre [1949 ?]
52 Marcs d’or, Dijon
Mon cher ami,
C’est le dernier jour de vacances, demain je rentre à Paris. Je suis bien coupable envers vous comme envers d’innombrables amis. J’ai 6 mois de courrier en retard. Votre lettre est bien soigneusement rangée avec d’autres, mais dans quel paquet se trouve-t-elle ? Je ne veux pas perdre des minutes précieuses à la chercher alors que je me souviens très bien de son contenu. A Paris il est bien difficile de trouver un acquéreur pour un instrument de grand prix, mais pourquoi ne pas écrire à Pierre Mayer [ violoniste au Boston Symphony Orchestra et camarade de la 5ème Division] tout de suite, car il se fera une joie de s’en occuper et de faire pour le mieux. [Lucien Durosoir cherchait à vendre le violon qui avait été durant toute sa vie de virtuose son violon de concert ]
Dire que je ne connais pas vos enfants, et à peine madame Durosoir. Moi je suis grand-père d’un bonhomme de 18 mois, ma fille mon gendre américains, mon fils est aux beaux-arts (peinture) à Paris (et cela ne laisse pas de m’inquiéter pour son avenir ! Car vendre des toiles en ce moment !….Enfin il l’a voulu !)
Cher ami ne m’en voulez pas de ce long silence, ne m’en tenez pas rigueur et croyez à ma très fidèle amitié.

27 décembre 1955

Madame,
C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai reçu le faire-part de la disparition de votre mari. Si je vous réponds si tard c’est que j’ai dû attendre les vacances de Noël pour faire tout un monceau de correspondance.
Est-il besoin de vous dire que Lucien emporte avec lui dans sa tombe une grande part de nos souvenirs communs de 14-18. J’ai passé avec lui tant d’heures charmantes, soit devant nos pupitres à musique pendant les repos de la Division, soit simplement autour d’une table de " popote " où sa bonne humeur légendaire apportait son rayonnement. Caplet, Magne, Cloëz, Delmas-Boussagol, avaient tant d’amitié affectueuse pour lui. Hélas nous ne reverrons plus son sourire si généreux ! Mais qu’il me soit permis de vous dire que je resterai toujours à votre disposition si vous avez besoin d’un appui quelconque à Paris. Je vous prie, Madame, de bien vouloir accepter pour vous et vos enfants nos bien vives condoléances et l’assurance de mon amitié respectueuse.
Maurice Maréchal.


Portfolio

  • Photo Harcourt, vers 1945
  • Professeur au Concervatoire National Supérieur de Musique de Paris, - 1950
  • 16 mars 1928
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